Le 2 avril 2019, à l’accueil de l’hôpital Erasme, Hospichild avait rendez-vous avec trois personnalités hors du commun ; des clowns qui, de prime abord, n’en avaient pas l’air. Un petit détail les trahissait néanmoins : l’humour. Direction le service de pédiatrie hospitalière pour une entrevue décoiffante avec trois des huit membres de l’association Les Clowns à l’hôpital : Catherine Vanandruel (Zuzut), Thierry Boivin (Biscuit) et Carine Limbosch (Marie Bernique).
Inspirés par le Rire Médecin à Paris et par les Docteurs Zinzins à Bruxelles, Les Clowns à l’hôpital sont nés en 1995 et sont soutenus par la Commission Communautaire française. Depuis plus de 20 ans, les clowns de l’association tentent d’ « apporter de la tendresse, de la fantaisie et du rêve dans les services de pédiatrie sans pour autant vouloir décrocher le rire à tout prix. » Ils tentent aussi, depuis toutes ces années, de légitimer au maximum leur pratique. Et ils ont en partie réussi grâce, notamment, à leur code de déontologie, à la charte des clowns à l’hôpital qu’ils ont rédigé et enfin, au travers des différents écrits publiés par le réseau Art et Santé ; « un canal fiable » qui leur permet de faire passer leurs idées, leurs réflexions et leurs questionnements.
- Quel est l’objectif premier des Clowns à l’hôpital ?
T : J’ai lu un article il n’y a pas longtemps écrit par un membre du Rire Médecin, une association française qui existe depuis les années 90’, dans lequel il fait la différence entre ‘to care’ et ‘to cure’. On n’est pas là pour soigner les enfants, mais pour prendre soin d’eux. On fait en sorte de leur apporter un petit quelque chose qui leur permettra de ne plus se sentir juste malade, car ce sont avant tout des êtres humains ; des enfants avec qui on peut passer un bon moment. Il ne s’agit plus du tout de les nommer selon leur pathologie ou selon leur numéro de chambre.
CL : En plus de ça, il y a aussi le fait d’aller à la rencontre de l’enfant ; on va chez lui, dans sa chambre. Aller à sa rencontre, c’est ne plus se soucier de sa couleur de peau, de sa maladie ou de quoi que ce soit d’autre. On offre alors un espace pour que cette rencontre se passe le mieux possible ; on fait en sorte que l’enfant vive un moment ‘autre’. L’espace d’un petit moment, on ramène la vie à l’intérieur, on fait un pont avec l’extérieur ; de là où l’enfant vient et là où il va retourner… on l’espère. On lui demande « qui es-tu ? » et le clown permet de créer un lien et de faire cette découverte. Quand ça se passe, c’est magique ; c’est beau.
- Même si on sait que votre rôle s’assimile davantage à de l’accompagnement qu’à de la thérapie, et qu’il ne peut en aucun cas être associé à de l’art-thérapie, en quoi votre métier est-il néanmoins bénéfique sur la santé des enfants ?
T : En effet, un philosophe (ndlr : Jean-Michel Longneaux) expliquait justement qu’à partir du moment où on se dit qu’on va faire de la thérapie, c’est à ce moment-là que ça ne marche pas. Mais il faut quand même garder en tête qu’on guéri mieux un enfant qui est heureux.
CL : Le clown va permettre à l’enfant de se libérer de certaines craintes, de peurs, de colères… Et retrouver une meilleure assurance en lui-même qui lui permettra alors de mieux affronter une maladie.
T : La semaine dernière par exemple, on est allé dans une chambre pour voir un enfant qui ne parlait pas. On nous avait prévenus, mais on essayait de ne pas montrer qu’on savait. Alors on a commencé à rigoler, à déconner, et de temps en temps on lui posait quand même des questions. Il y avait sa maman à côté de lui et on a demandé : « C’est qui elle, c’est ta sœur ? » Et à ce moment-là, il a essayé de parler, mais ça ne sortait pas. Au bout d’un temps, il a quand même réussi à dire maman. Là, on s’est senti un peu magicien.
CV : C’est ce qu’on appelle les as des moyens détournés… C’est sûr que quand il y a des retombées thérapeutiques, on ne va pas les refuser. Si c’est le cas, tant mieux. Comme on dit : « Avec prudence, de surcroît » ; c’est-à-dire que c’est inattendu pour nous, mais si ça arrive, on est très contents évidemment. Maintenant, c’est sûr que l’intention n’est pas là ; ce n’est pas notre objectif premier.
- Êtes-vous toujours bien reçus par les enfants ou les familles ?
T : Parfois, on nous dit non. C’est arrivé il n’y a pas longtemps, un enfant nous a vu arriver et il a dit qu’il ne voulait qu’on rentre. Alors on reste devant la porte et on a quand même insisté un peu, en rigolant, pour voir s’il ne changerait pas d’avis. Dans ce cas, la raison de son refus était de dire : « Tout le monde rentre chaque fois dans ma chambre et j’ai le droit de refuser ». Nous lui donnons donc le pouvoir en lui disant qu’il a tout à fait le droit et, même si on négocie un peu, on finit par s’en aller.
CV : C’est sûr qu’on est à l’écoute de l’enfant. S’il ne veut pas, on ne va pas lui imposer une visite ; ce serait antinomique. Mais souvent on joue un peu avec ce « non ». Et, pour les gens qui assistent à la scène, c’est souvent drôle. Parfois alors, un non se transforme en oui.
- Décrivez-moi une « intervention – type » auprès des enfants hospitalisés. Comment cela se passe-t-il concrètement ?
T : Souvent, on regarde d’abord le papier qu’on nous distribue à notre arrivée et qui reprend les âges, noms, prénoms et pathologies des enfants. On consulte cela avant nos visites pour savoir plus ou moins à qui on va s’adresser. Si l’enfant à 3 mois ou 17 ans, on ne se préparera pas forcément de la même manière. Ensuite : approche et tentative d’échange.
CL : Quand on est dans l’instant, il y a toujours quelque chose qui arrive. Si on est touché et qu’on s’empare de cette émotion pour la partager avec les autres (enfant, parents ou partenaire), alors c’est très souvent juste parce que c’est le vécu de ce moment-là. Quand on arrive vers ça, c’est magique. Et si je réussis à faire confiance à mon clown, à mon personnage ; si je le laisse vivre et s’exprimer à cet instant précis, l’autre va forcément entrer dans le jeu.
- Si je comprends bien, l’idée n’est donc pas de créer un canevas de jeu trop rigide qui ne ferait que brider les émotions…
T : Oui c’est ça, mais après on a quand même ce qu’on appelle des « lazzis » ; des thèmes qu’on peut réutiliser pour baser nos impros. Par exemple, quand un enfant a peur, on fait des bulles et ça détend un peu l’atmosphère.
CV : La scénarisation des clowns n’est pas figée et peut varier selon que l’enfant est à l’aise ou pas. Mais il faut quand même avoir des choses un peu préparées pour avoir toujours quelque chose à dire. Ensuite, l’impro prend le relais et c’est ça le propre de l’art clownesque. Il faut risquer des choses pour que ça devienne non conforme.
- Est-ce que les émotions n’ont pas tendance à aller trop souvent au-delà du nez rouge en touchant les êtres humains que vous êtes ?
T : Quand on joue devant des enfants qui sont dans des services de soins palliatifs, c’est souvent plus dur émotionnellement et ça m’aide énormément d’être en costume ; dans mon personnage. Je suis dans la relation et je ne pense plus à mes sentiments personnels. C’est plus simple.
CL : C’est tout le travail d’entrer dans le personnage. Et c’est sûr que le masque, ou plutôt le nez, aide beaucoup à y parvenir. Il faut aussi un temps de préparation avant de commencer nos visites. Une petite heure qui nous permet de quitter notre personnage social pour entrer dans celui de clown. Les deux partenaires doivent aussi se dire bonjour et se mettre en relation pour que ça se passe au mieux devant les enfants.
- Quels types de formations avez-vous dû suivre ? D’un côté pour être clown et de l’autre pour intervenir auprès des enfants malades ?
CL : Nous sommes constamment en recherche. On a régulièrement des journées de formations, toute l’équipe, pour travailler les duos, pour s’exercer à des petites pratiques qui rendent l’impro plus lisible pour le public ….
T : Nous avons tous les deux suivi une formation théâtrale à l’école internationale LASSAAD à Saint-Gilles. La pédagogie enseignée se base sur les préceptes décrits par Jacques Lecoq, un grand maître du geste. Ensuite, si on veut être clown à l’hôpital, il faut se mettre à la page des pratiques d’hygiène notamment ; il faut aussi comprendre comment fonctionne le milieu hospitalier, s’habituer à entrer en contact avec des enfants malades…
CV : Mais pour le moment, aucune formation de clown à l’hôpital n’est prévue en Belgique. La transformation d’un clown vers un clown hospitalier n’est pas encore officielle. La pratique s’apprend sur le terrain auprès d’un clown expérimenté. J’ai déjà pensé à mettre en place une formation digne de ce nom, comme il en existe déjà en France, mais la tâche est compliquée. D’abord d’un point de vue politique, et ensuite parce qu’il faudrait d’abord réussir à se mettre d’accord entre les différentes associations pour définir ce qui pourrait être mis en place.
On voudrait constituer une Fédération, mais c’est long et compliqué. Si ça se concrétise, ce sera alors la Fédération des clowns hospitaliers qui pourra mettre en place une formation. Une autre idée serait de faire intervenir des clowns dans le processus de formation des infirmiers par exemple. Ça rendrait les deux disciplines un peu plus poreuses.
- Justement, est-ce que vous entretenez de bonnes relations avec le personnel soignant ? Avez-vous parfois l’impression de déranger ?
T : Dans 90% des cas, cela se passe dans une belle dynamique.
CV : La plupart des lieux où nous travaillons ont donné leur accord il y a plus de 20 ans. Mais au jour le jour, il faut parfois retrouver la confiance de certains membres du personnel.
CL : Certains jours, on arrive dans des moments où il y a énormément de travail avec du personnel qui court dans tous les sens ; il arrive qu’on ait l’impression de déranger. Mais dans ces cas-là, on s’adapte ; on laisse la priorité aux soins et on évite certaines chambres.
- Est-ce que votre métier est à présent mieux reconnu qu’à l’époque ? Êtes-vous considérés comme plus légitimes aujourd’hui qu’avant ?
CV : C’est certain qu’en 95’ quand on a commencé on était parmi les premiers à faire ce métier et on sentait bien que les gens se disaient ‘C’est quoi ces zigotos ?’. Il y avait un engouement média aussi ; tout le monde était assez curieux de savoir ce que nous faisions. Ensuite on s’est fait accepter petit à petit. Car ce qu’on fait est quand même sérieux ; on est sérieusement drôles en fait. Mais on a quand même mis un peu de temps à trouver notre place et définir les moments les plus opportuns pour aller dans les chambres.
Avant, notre métier était considéré comme quelque chose d’un peu magique et mystérieux. Maintenant, on a une place plus établie ; on n’est pas glorifié, mais on n’est pas non plus sous-estimé. En tout cas, notre pratique est à présent tout à fait légitimée.
Sans crier gare, Thierry mit tout à coup ses cheveux en l’air. Une manière détournée et clownesque de dire que l’interview est finie ou tout simplement une irrésistible envie d’entamer sa transformation ; de passer de Thierry à Biscuit, son clown.
Il est donc temps de les laisser se préparer…
Quelques minutes plus tard, les voilà tout à fait déguisés : nez rouge au milieu du visage, coiffures déjantées, vêtements dépareillés et colorés… Leurs personnalités « civiles » sont restées en coulisse et les voilà rieurs, blagueurs et pleins de mimiques. De vrais clowns en somme.
Du fond de la salle de jeux, un enfant les aperçoit et sourit. La machine clownesque se met en marche et la relation est immédiate. Biscuit lui demande son prénom et l’impro s’enclenche immédiatement. Avec son ukulélé, il invente un air et des paroles. Puis, les clowns s’éclipsent en marche arrière tout en lui adressant un dernier signe de la main. Les visites « drôlement sérieuses » dans les chambres des enfants peuvent alors débuter.
Les Clowns à l’Hôpital en pédiatrie
Le lundi après-midi au CHU Saint-Pierre (Rue Haute, 322 – 1000 Bruxelles)
Le mardi après-midi à l’Hôpital Erasme (Route de Lennik, 808 – 1070 Anderlecht)
www.clowns-hopital.be
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0476 24 74 58