Ce colloque organisé par la Plateforme Bruxelloise pour la Santé mentale s’est tenu durant trois jours, les 6, 7 et 8 décembre 2022, réunissant de très nombreux acteurs de terrain et des experts. L’équipe d’Hospichild – Born in Brussels a assisté à la première journée, plus axée sur les thématiques de la périnatalité, de l’enfance et de l’adolescence. Voici notre compte-rendu.
Le programme de ce colloque était riche et dense et a permis de réaliser un tour d’horizon des institutions et pratiques qui ont vu le jour dans le champ de la santé mentale bruxelloise au fil de ces dernières années. Avec l’accroissement de la population et sa grande diversité culturelle, la pandémie du Covid 19, la guerre en Ukraine et la crise énergétique, les acteurs de la santé mentale axés sur la périnatalité, l’enfance et l’adolescence ont vu leurs services très fortement sollicités. Les groupes de travail se multiplient, la réflexion foisonne pour juguler les manques et mieux articuler les soins en Région bruxelloise.
- La Plateforme Bruxelloise pour la Santé Mentale
- Bru-Stars, le réseau de santé mentale enfants & adolescents
- Atelier : la périnatalité aujourd’hui, nouvelles avancées dans ce domaine
- Enjeux et défis actuels en périnatalité
- À propos du concept de troubles neurodéveloppementaux en santé mentale
La Plateforme Bruxelloise pour la Santé Mentale
En introduction de la journée, le Dr. Stefan Van Muylem a rappelé l’itinéraire de la Plateforme Bruxelloise pour la Santé Mentale qui fut créée en 1990 à l’initiative des autorités fédérales. La plateforme est agréée depuis la 6ème réforme de l’État de 2014 par la Commission communautaire commune (Cocom). Cette institution bicommunautaire – au-delà des barrières sectorielles et linguistiques – regroupe de nombreux acteurs et intervenants du secteur élargi puisqu’elle rassemble aussi dans ses groupes de travail, les hôpitaux, la police, les magistrats, les médecins généralistes, les représentants des usagers ou les intervenants psychiatriques. Elle a pour mission de réaliser transversalement la politique de santé mentale sur base de concertation avec les différents acteurs de la Région : élaborer et monitorer les plans stratégiques pour articuler les soins à Bruxelles et garantir les meilleurs soins aux patients.
Ces dernières années, la crise Covid, la guerre en Ukraine ou la crise énergétique ont affecté les citoyens comme les intervenants. Différentes pratiques ont été mises en place comme des lignes téléphoniques. Les listes d’attente sont longues dans les services et les candidats pour les postes vacants, difficiles à trouver. Les équipes mobiles de médiation et d’intervention ont aussi été étendues à l’intérieur des réseaux.
Ce colloque offrait aussi l’occasion de partager les données entre les intervenants et les institutions et de faire un tour d’horizon des pratiques dans les réseaux : les équipes mobiles de santé mentale pour les différents usagers, lien entre santé mentale et précarité, familles, usagers et pair aidance notamment.
Un livre anniversaire retraçant le parcours de la Plateforme sera d’ailleurs diffusé au printemps 2023.
Bru-Stars : le réseau de santé mentale réseau enfants & adolescents
Au fil de la présentation des différents réseaux bruxellois, Youri Caels et Christophe Herman ont évoqué le travail collaboratif du réseau adulte, Brumenta avec Bru-Stars pour les enfants et adolescents, dont Kathleen Coppens est la coordinatrice. En effet, ces deux réseaux travaillent ensemble pour une meilleure prise en charge des jeunes en transition vers l’âge adulte (16 – 23 ans).
Quant au réseau Bru-Stars mis sur pied en mai 2015, son ambition est de rationaliser les approches, d’améliorer la lisibilité des offres, les articuler avec les besoins et assurer l’information à propos des dimensions administratives et juridiques tant francophones que néerlandophones.
Bru-Stars est donc un réseau unique regroupant les acteurs francophones, néerlandophones et bicommunautaires à Bruxelles. Il s’adresse aux enfants et adolescents de 0 à 18 ans qui présentent une problématique nécessitant un soin en santé mentale et qui résident principalement en Région de Bruxelles-Capitale. Le réseau fonctionne en étroite collaboration avec les tous les acteurs impliqués : partenaires de soins existants, soins ambulatoires, soins en résidentiel, outreach, acteurs de la 1ère ligne de soins et d’aide, médecine scolaire, police, SOS enfants, éducateurs de rue, familles et enfant, SAJ, SPJ, etc.
Le travail en réseau
Mais le travail en réseau est un travail patient qui ne coule pas de source, comme l’indiquait Youri Caels au cours de l’exposé des trois coordinateurs. Pour les acteurs participants, il s’agit de dépasser les éventuels clivages, les rivalités, de se remettre en question mais aussi de donner du temps non rémunéré pour faire vivre le réseau. Les fonctions de support sont donc très nécessaires pour faire grandir les réseaux de santé mentale bruxellois. C’est quand elles ne sont pas pourvues qu’on se rend compte de la valeur de ces fonctions essentielles. La tâche est conséquente et essentielle : il faut diffuser les appels, analyser les besoins, organiser la concertation et harmoniser les projets entre eux. Tout cela doit être transmis aux autres acteurs et aux autorités compétentes. Il faut aussi fournir des avis sur des appels à projets lancés par les cabinets et encore, cartographier l’ensemble des besoins de la population pour y répondre de manière spécifique, comme lors de la pandémie. Enfin, ce travail en réseau doit être évalué à l’aide de case management notamment.
Quelques perspectives pour Bru-Stars
L’offre de Bru-Stars est organisée en programmes de soins de manière transversale. Dans le futur, le réseau entend inclure encore plus l’expertise des usagers, des enfants, adolescents et des pair-aidants dans sa gouvernance. Un point important est aussi de déstigmatiser la santé mentale auprès du grand public. Avec le cabinet Vandenbroucke, un plan est étudié pour renforcer les équipes de liaison dans les hôpitaux, pour les lits K, élaborer des projets pilotes relatifs à l’âge de transition, améliorer la continuité des soins, créer des projets concernant les troubles alimentaires. Une nouvelle permanence centralisée sera créée pour renforcer les compétences des petites équipes. De nouveaux projets de soins psychologiques de 1ère ligne seront implémentés pour offrir plus ou moins 1.500 séances de soins par semaine. Enfin des journées d’échanges sur les pratiques des partenaires sont prévues à l’automne 2023.
Atelier : la périnatalité aujourd’hui, les nouvelles avancées dans ce domaine
Modératrice : Dr. Karine Mendelbaum, psychiatre, médecin chef de service de l’unité mère-bébé et coordinatrice de l’IHP « La Lisière »
Au cours de cet atelier, nous avons plus particulièrement découvert différentes unités mère-bébé ou parent-bébé.
L’Unité mère-bébé de la Ramée du groupe Epsylon, accueille jusqu’à 5 mamans avec leur bébé jusqu’à l’âge d’un an et aussi des femmes enceintes pour une hospitalisation d’un à trois mois. Cette unité a vu le jour dans un contexte global de manque de places en périnatalité. Il n’y a actuellement que 5 ou 6 lits d’appartement supervisés à Bruxelles par exemple. Son objectif est d’accompagner la maman dans sa relation avec son bébé, stabiliser sa problématique psychiatrique, identifier ses difficultés, ses ressources et ses compétences. Si une maman présente une situation plus complexe, comme un état psychotique, ou un risque suicidaire, elle peut aussi être accueillie dans cette unité. Un pré-entretien est organisé pour parler avec la maman de son projet d’hospitalisation. Elle est ensuite prise en charge par une équipe pluridisciplinaire composée d’une psychiatre, d’une psychologue, d’une kiné, d’une infirmière et d’une assistante sociale. Les membres de l’équipe sont spécifiquement formés à la périnatalité. De manière générale, l’équipe travaille en amont et en aval avec beaucoup d’autres acteurs, SAJ, SPJ, services hospitaliers, ambulatoires, médecins traitants, pédiatres, pédopsychiatres, aide à l’enfance, services de santé mentale, aide à domicile, crèches, halte accueil, maisons maternelles, appartements supervisés, etc.
L’IHP (Initiative Habitation Protégée) La Lisière, autre tout nouveau projet du groupe Epsylon, accueille des mères avec leur enfant âgé de 0 à 3 ans qui ont besoin d’un encadrement pour soutenir leurs interactions et une aide quant à leur ancrage social. Le parent doit être suffisamment stabilisé sur le plan psychiatrique et disposer d’une certaine autonomie, tant dans la prise en charge de son bébé que dans la vie au quotidien. L’équipe est composée d’une infirmière sage-femme formée en psychiatrie, d’une psychologue et d’une psychomotricienne. Tous les trois mois, un bilan est effectué avec les mamans. On leur apprend à gérer leur budget, faire les courses pour favoriser leur autonomie. Une présence est organisée toute la journée, et notamment pour accompagner les mamans à la crèche.
La période des 1000 jours : un impact énorme sur le développement du futur adulte
Le Docteur Vildan Goban, pédopsychiatre à l’Hôpital des Enfants a ensuite évoqué l’offre de soins cruciale pour la période des 1000 jours dont on sait aujourd’hui qu’elle a un impact énorme sur le développement du futur adulte. Ce sont mêmes de nombreux arguments économiques qui justifient des investissements importants pour cette période.
Quelle est l’offre de soins en Région bruxelloise ?
En unité résidentielle pour troubles psychiatriques modérés à sévères, deux institutions existent : La Ramée et Clairs Vallons (Ottignies). En unité non résidentielle pour les troubles psychiatriques légers à modérés, il existe une unité de jour à l’hôpital des Enfants, des équipes mobiles de crise (Brumenta et Bru-Stars), une équipe à cheval entre l’ambulatoire et les équipes à domicile et les services d’accompagnement à la parentalité, Aquarelle et Ulysse. Le secteur ambulatoire est assez pauvre avec quelques services de santé mentale spécialisés en petite en enfance ou parentalité ainsi que des consultations privées. Les services SOS Enfant subsidiés par l’ONE ont développé des sous-équipes pour la partie prévention en périnatalité. L’équipe SOS Enfant du CHU Saint-Pierre va développer une antenne autonome à partir de 2023. On y proposera une consultation petite enfance en lien avec la pédiatrie, la neuropédiatrie, une convention prématurés et troubles de l’oralité.
La nouvelle Unité de jour, parents-bébé de l’Hôpital des Enfants (HUB), complètement rénovée, propose un environnement proche du contexte de vie plus normal d’une maison. On y accueille jusqu’à 7 dyades, triades avec un enfant de 0 à 2 ans. L’unité propose une prise en charge thérapeutique et une prévention des troubles de la relation précoce parents-bébés et de la psychopathologie du petit enfant.
Quelques réactions des participants
Da manière générale, les participants de l’atelier souhaitent une meilleure centralisation des initiatives existantes en périnatalité, dans l’idée de développer et coordonner un réseau de soutien à la périnatalité (- 9 mois à + 1 an).
- On est en train de parler des 1000 premiers jours et on est relégués dans une petite salle par rapport à la salle consacrée à la psychiatrie adulte
- Les pères sont souvent demandés mais souvent absents des soins périnatals
- On se rend compte qu’il y a énormément de propositions d’aide en périnatalité mais que chacun fait son petit truc de son côté.
- On essaie de se parler, se voir, se rencontrer pour mieux structurer.
- Le fait de pouvoir rencontrer les acteurs, les services ambulatoires autour de la maman est très important pour notre travail. A Bruxelles, on travaille beaucoup plus avec les équipes mobiles, c’est plus structuré.
- Les sages-femmes qui vont à domicile sont parfois un peu perdues quand elles découvrent des problématiques qui ne sont pas de leur ressort.
- C’est vraiment au moment de la grossesse et du post partum qu’on est le plus à risque de faire une dépression. Même si on est bien entouré. Il faut le signaler, ce n’est pas juste des patients qui ont tel ou tel facteur… Donc il faut prendre en charge précocement,
- Il faut changer les appellations des unités mère bébé en parents-bébé pour mobiliser les papas, faire revenir les pères pour que la maman ne se sente pas seule, pour que le père se sente inclus.
- Il y a des recherches sur les dépressions post partum du père
- Le père est plus présent en ambulatoire
- La maladie mentale questionne toute la famille, donc l’appellation d’un service n’est pas anodine, un espace enfants et non mère enfant, on a aussi des papas hospitalisés.
- Un mouvement se met en place, il faut rester enthousiaste, des concepts sont en cours d’implémentation dans les cliniques. On va considérer toute la famille autour de la patiente, on mobilise la direction pour financer cette prise en charge. Ça fait tache d’huile.
- La place de l’homme : il y a eu de grandes fractures sur sa place dans la société, féminisme, post féminisme, mee to, perturbation du rôle de l’homme près de la femme. Beaucoup souffrent, pourquoi ne pas élaborer un screening pour les papas ? Il faut changer cette culture de la vulnérabilité, que l’homme puisse y être associé, l’accepter.
- Question de la temporalité, 6 mois avant d’agir, ça peut être énorme pour quelqu’un qui a un antécédent psychiatrique.
- Travailler en binôme, c’est un outil de travail indispensable, même si ça coûte plus cher dans les financements.
- On doit se rappeler quotidiennement la place du père, ce n’est pas encore bien intégré dans notre travail.
Enjeux et défis actuels en périnatalité
Cindy Motrie, docteure en psychologie clinique, psychothérapeute du lien parents-bébés CMP Clairs Vallons, Ottignies – Dr. Audrey Moureau, pédopsychiatre, chef de clinique adjoint, responsable de l’Unité Parents-Bébé HUB site Laeken.
Repérage des signes précoces : pourquoi ça semble tellement important de parler des tout petits ?
Le repérage des signes précoces a été initié par le Dr. Alain Grégoire, d’abord en Angleterre, en France puis en Belgique. « On a besoin d’en parler parce que c’est une clinique difficile. Il faut sensibiliser les praticiens aux spécificités des bébés. Certains bébés sont très calmes, mais en fait, ils sont en stress ! »
Parlons des outils, le bébé n’est pas un adulte en miniature et nécessite des outils spécifiques. On milite pour des formations dédiées à la périnatalité. Nous utilisons une grille de Steinhauer (Canada) pour évaluer les compétences parentales pour les enfants de 0 à 5 ans, un répertoire des facteurs de stress. Selon une étude du Dr. Alain Grégoire, tous les ados déprimés à 16 ans ont eu une mère déprimée pendant la maternité. « Ce qui est compliqué pour nous, c’est de laisser une place pour le bébé, les parents peuvent parler mais le bébé va plutôt s’effacer. Nous nous faisons aujourd’hui le porte-parole des tout petits qui ne peuvent s’exprimer que par leur corps ».
Il existe aussi des arguments psychopathologiques et par exemple, l’imbrication entre les facteurs biologiques et le contexte environnemental qui affectent le développement du bébé, c’est-à-dire, l’épigénétique. Ces événements sont aussi réversibles comme les expériences sur les rats le prouvent. « Nous avons donc une possibilité d’action ! » Les courbes de développement du cerveau montrent une évolution exponentielle au départ de la vie. Les événements survenus à ce moment-là ont aussi une répercussion plus importante sur l’ensemble de la vie. « Malheureusement, nous ne sommes pas encore assez présents dans la prévention et même en étant optimiste, il est parfois difficile de travailler avec certains parents, limités dans leurs possibilités ».
Mal-être des jeunes mamans et problèmes de santé mentale
Selon la Société Marcé Francophone, deux mères sur dix développement un problème de santé mentale pendant la grossesse et la première année qui suit la naissance. 50 à 75% de ces mamans ne sont pas diagnostiquées et ne reçoivent pas de soins. Ce qui entraîne des conséquences pour la famille et la société. Ce sont aussi quelques 50 à 80% des mamans qui font un baby blues, ce qui ne facilite pas le travail d’accueil du bébé. Il faut cependant faire la différence entre baby blues et dépression du post-partum. Enfin, le risque de décompensation psychotique est beaucoup plus élevé pendant la maternité qu’à n’importe quel moment de la vie.
Enfants placés et maltraitance
En cas de placement du bébé, peu d’études s’intéressent à leur devenir psychopathologique. En outre, le délai entre l’alerte d’un danger et la décision de placement est long : une moyenne de 11 mois pour un enfant prématuré, de 12 mois pour un bébé à risque psycho-social et de 13,2 mois pour des bébés ni prématurés ni à risque psycho-social. Le pourcentage de maltraitance est le plus élevé durant les 3 premières années de vie à cause de l’impossibilité de faire appel à l’aide explicitement.
Arguments économiques pour renforcer la psychiatrie périnatale
Le mémorandum du COMSMEA le confirme, le financement de la psychiatrie périnatale est essentiel pour éviter des surcoûts liés plus tard à la désinsertion sociale. Ainsi selon le Dr. Alain Grégoire, investir 700 000 € pour penser correctement le parcours d’un tout petit donnera le résultat positif d’un adulte inséré. Dans le cas contraire, ce sont quelques 2.500 000 € qu’on devra penser pour un individu en désinsertion sociale. « Donc si on n’investit pas assez dans la petite enfance, il faudra investir trois fois plus à l’âge adulte ! »
La société du changement et le stress
« On est dans la société du changement, on entend des choses comme : « Il ne faut pas laisser le bébé pleurer ! » Les injonctions et postures extrêmes sont nombreuses, contradictoires et indiquent la méconnaissance des bébés ». Ce qui implique un stress pour les mamans. La tranche la plus impactée lors de la crise du Covid 19 est le groupe de 20 à 35 ans. Et les femmes plus que les hommes. Donc la tranche correspondante aux jeunes mères avec des répercussions sur les enfants.
« Le stress est trop considéré à outrance comme négatif. Il peut aussi, à doses légères, être nécessaire et entraîner des facteurs de résilience ». Ce qui est important pour l’enfant est de sentir ses parents l’épauler. « Les parents doivent faire vivre des choses à leurs enfants et nous les soutenons pour le faire ».
En conclusion : changer les mentalités peut créer un impact incroyable sur la société
Les recommandations du COMSMEA plaide pour la prévention : informer la société, former les professionnels, créer et renforcer les soins. « Il faudrait des équipes dans toutes les maternités ! Il faut aussi instaurer le dialogue entre le.la pédopsychiatre, le.la gynécologue mais cette communication doit aussi exister à tout niveau : entre les institutions, avec le politique… C’est un chantier énorme et qui aura des effets importants pour toute la société. Si en tant que parents, nous avions pu bénéficier de telles interventions, le trajet aurait été différent… »
« C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’on fait si peu de cas de la naissance. Pas de rituels, une reprise du travail trop rapide, un isolement fréquent, etc. »
Á propos du concept de troubles neurodéveloppementaux en santé mentale
Pr. Véronique Delvenne – HUDERF – HUB
« La question qui se pose, c’est de savoir à qui s’adressent les troubles neurodéveloppementaux ? Au pédopsy ? au neuropsy ? Qu’est-ce que le neurodéveloppement ? »
Pour comprendre l’avènement des troubles neurodéveloppementaux en santé mentale, le Pr. Delvenne nous a proposé une chronologie des concepts depuis les années 50-60.
- 50’-60’ Naissance du neurodéveloppement liée à l’histoire de la pédopsychiatrie : enfants déficients, troubles du comportement, troubles instrumentaux. Position « neurologique » en lien avec la déficience intellectuelle sur base d’outils comme le « minimal brain dysfunction »
- 70’ Mouvement psychodynamique dans les troubles de l’apprentissage – Recherches de Brunet, Lézine et Haim pour les troubles instrumentaux. Courant anglo-saxon « learning disabilities»
- 80’ concept des troubles dysharmoniques, psychose infantile, défauts de capacités de représentation et de symbolisation. Le terme psychose infantile est né sous l’influence de la psychiatrie adulte, en parallèle avec la schizophrénie. Montée en puissance des neurosciences.
- 2008 Michael Reuter décrit les troubles neurodéveloppementaux comme des troubles débutant précocement dans le développement de l’enfant (déficits fonctionnels).
Des troubles neurodéveloppementaux à l’épigénétique
Les troubles neurodéveloppementaux sont nés à partir d’hypothèses génétiques : on supposait que les troubles du développement se développaient dans un continuum génétique. Le concept d’épigénétique est venu apporter une autre dimension : les gênes oui, mais aussi l’environnement pré et postnatal qui engendrent un tableau phénotypique particulier. Et par exemple, on retrouve dans l’enfance des patients schizophrènes, des difficultés motrices ou des anomalies du langage. L’influence de l’environnement engendre des mécanismes biologiques qui s’inscrivent aussi dans les gênes, ce qui explique le terme « épigénétique ».
Aujourd’hui, les chercheurs optent pour des critères qui forment une intelligence particulière différente, concernant l’autisme par exemple. Il faut donc redéfinir le handicap sous-jacent ou associé quand on analyse l’acquisition du langage chez l’autiste.
Le concept de neurodiversité
Ce nouveau concept de neurodiversité est apparu il y a une dizaine d’années. Le journalistes Harvey Blume et Judy Singer, autiste militante, ont défini l’identité autistique comme une variabilité neurologique et ont associé des mouvements de patients pour défendre la différence.
On considère que ces patients ne sont pas dans le champ du handicap mais plutôt dans celui d’une lacune ou dans une différence de la norme. Cette différence peut constituer une richesse dans bien des domaines, qui permet à la société de progresser à l’instar de la biodiversité.
Concernant l’autisme de « haut niveau », les hauts potentiels ont un autre type de fonctionnement cognitif, ce n’est pas une « maladie ». Ils ont un autre rapport au monde, un développement atypique, comme le langage. Le cerveau se développe différemment aussi, avec un volume plus important dans la 1ère année de vie. Ils ont une mémoire prodigieuse pour les faits, les dates, des dispositions d’hyper perception visuelle et sensorielle, une intelligence mal estimée par les tests QI, ils sont souvent très forts en cybernétique ou en informatique.
L’abandon de la pathologie au profit de la différence ?
L’histoire de la neurodiversité est liée à celles de plusieurs autistes et son concept comprend d’autres troubles comme celui de l’apprentissage, le TDA/H, etc. La position défendue par les tenants de Harvey Blume et Judy Singer est de « démédicaliser » dans le champ de la psychiatrie, en abandonnant les « pathologies mentales » versus la « diversité mentale ». « Il faut aider ces enfants !» faisant référence à une forme de racisme envers eux. Cette position très militante est aussi très acceptée aujourd’hui.
Le paradigme de la différence
Ces déstigmatisations et dénonciations du handicap concernent aussi d’autres pathologies et les redéfinissent comme une autre façon d’être au monde : TDA/H, dyslexie, Tourette, etc.
Il faut envisager des aménagements raisonnables à l’école, dans le monde de l’entreprise. Il faut aussi soutenir une certaine évolution de la civilisation, le fait que la neurodiversité est nécessaire, l’émergence de nouvelles identités bio-sociales. Dans cette reconfiguration des frontières entre le normal et le pathologique, les patients se définissent eux-mêmes dans leur identité, leur différence.
Compte-rendu : Emmanuelle Van Besien
Pour en savoir plus à propos des dispositifs de santé mentale à Bruxelles :
→ Bruxelles Social (catalogue en ligne des organismes et associations du domaine social santé à Bruxelles)
→ santementale.brussels (répertoire de la Plateforme Bruxelloise de la Santé Mentale)
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