À Reda, Hafsa, David, Jonathan, Eileen, Maxime… compagnons d’infortune de Julien qui n’ont pas eu sa chance et qui sont partis beaucoup trop tôt, à tous ceux dont je n’ai plus de nouvelles, à tous ceux qui sont toujours là, Amaury, Alice, Nolan, Lindsay et Katia, la Princesse de Julien.
J’aimerais plus de sensibilisation, plus de prise de conscience, j’aimerais qu’on ne se dise plus « cela n’arrive qu’aux autres », j’aimerais surtout plus de moyens pour la recherche, plus de moyens pour les unités d’oncologie pédiatrique, plus de moyens pour aider les parents, j’aimerais une législation du travail adaptée…
Pas un instant on y pense, le Télévie on en entend beaucoup parler, une fois par an, on participe modestement, on se dit que cela ne nous concerne pas vraiment… Et puis un jour, par un bel après-midi de fin d’été, le couperet tombe. En consultation chez le pédiatre avec votre petit bonhomme d’à peine 18 mois, pour quelque chose que vous pensez être des plus bénins (un peu de fièvre, un petit rhume), il vous annonce, la mort dans l’âme, les résultats de l’examen sanguin que l’on a pratiqué : il est atteint d’une leucémie et il faut agir très très vite ! Et tout se met en branle, l’ambulance pour le transfert de Julien, accompagné de son papa, vers l’Hôpital Universitaire des Enfants Reine Fabiola.
Moi-même prévenue par téléphone au bureau, incapable de réfléchir, les jambes flageolantes, secouée de sanglots impossibles à réprimer, plongée dans la circulation et les embouteillages d’un vendredi 17h, conduite par mon papa faisant preuve d’un calme olympien et me rassurant comme il peut !
Finalement, on y arrive, 45 minutes plus tard. Julien a été admis aux soins intensifs. Il semble complètement perdu dans son petit lit cage métallique, raccordé à un monitoring et à une perfusion. Il hurle et de ses yeux nous interroge : « Mais qu’est-ce qu’il m’arrive, sortez-moi d’ici !». Il est d’une pâleur effrayante !
J’essaie de le réconforter mais rien n’y fait. Je suis complètement bouleversée et je sens mon cœur battre à tout rompre. Nous sommes accueillis, son papa, son grand-père et moi, par un staff de médecins, ils sont trois. Ils nous font entrer dans un petit salon pour nous expliquer la maladie, ce qui va se passer dans les jours qui viennent et dans un futur plus lointain. Tout est confus dans ma tête, les mots s’entrechoquent. Je serre très fort la main du papa de Julien et mes larmes n’arrêtent pas de couler. Jamais je n’oublierai cet instant, il est gravé à tout jamais dans ma mémoire. Je me sens vidée, je n’ai qu’une envie, aller près de mon petit, le prendre dans mes bras, le couvrir de baisers, le rassurer…
Julien restera 4 jours en soins intensifs. Il reçoit essentiellement de la cortisone administrée dans le but de ralentir la prolifération des « mauvais globules blancs ».
Julien est atteint d’une Leucémie Aigüe Lymphoblastique (LAL de type 1), classifiée à « très haut risque » du fait du nombre élevé de «blastes» (globules blancs immatures ou cellules cancéreuses qui prolifèrent sans cesse jusqu’à envahir complètement le sang.
Il sera ensuite transféré salle 67, service oncologie de l’Hôpital des Enfants Reine Fabiola. Il continue à recevoir de la cortisone, c’est son unique traitement. La chimiothérapie ne peut être commencée que lorsque les médecins jugeront que le nombre de blastes aura suffisamment diminué.
La vie s’est arrêtée, plus question d’aller travailler. À ce propos, rien n’est prévu par la législation du travail pour vous permettre de faire face à cela, à part une interruption de carrière qui vous coupe de tout revenu alors que vous en avez bien besoin dans ces moment-là ! Il reste à prendre des jours de congé et trouver un médecin complaisant (je remercie ce cher docteur si compréhensif) qui veuille bien vous couvrir par un certificat médical car les jours de congé ne sont pas inépuisables. Il faut aussi un employeur compréhensif et je remercie le mien de l’avoir été.
Afin de ne pas émarger à la mutuelle, il y a lieu de combiner savamment congés de maladie et jours de travail. Les jours passés au bureau sont pénibles à vivre, difficile de se concentrer sur son travail quand son petit bout est hospitalisé.
Il faut aussi expliquer à Charlotte, la sœur de Julien, alors âgée de 12 ans, ce qui arrive à son petit frère. Trouver les mots justes n’est pas facile, faire semblant qu’on n’est pas inquiet est impossible, aborder le sujet de la mort…inévitable. Charlotte encaisse, en silence. Il faut aussi prévenir la famille, les amis, expliquer ce qui arrive à Julien.
La vie à l’hôpital est fatigante, usante, on perd tout repère de temps, on se coupe du monde extérieur, on vit dans un monde très particulier fait de médecins, infirmières et parents d’autres petits bouts, malades eux aussi. Le service oncologie est particulièrement pénible. Entre parents, nous nous retrouvons bien souvent au moment des repas dans une salle qui nous est spécialement réservée. On s’encourage, on se réconforte l’un l’autre, on pleure aussi, on a mal au plus profond de notre chair quand un petit s’en va, pour toujours et on ne peut s’empêcher de penser que cela pourrait également arriver au nôtre.
Les premiers jours de Julien dans le service oncologie, salle 67, ne se passent pas très bien. Nous avons l’impression que notre petit bonhomme se coupe du monde, se coupe de nous, nous n’arrivons plus à communiquer avec lui, il est dans un autre monde. Il régresse (ne marche plus). De jour en jour la situation s’aggrave, on constate qu’il a de véritables absences, qui seront qualifiées (à tort) de « petit mal » (petites crises épileptiques), on le traite pour cela. On craint une atteinte méningée. Des jours d’angoisse, d’incertitude…et finalement l’explication, ce sont là fort probablement les effets secondaires de la cortisone administrée à forte dose. On arrête le traitement durant 48h, et Julien « revient à lui ». Nous sommes soulagés.
Le traitement de Julien durera 2 ans et est composé de trois phases : la phase d’induction qui a pour but de placer l’enfant en première rémission (c’est-à-dire faire en sorte qu’on ne voit plus trace de cellules cancéreuses dans le sang), la phase d’intensification destinée à faire chuter de façon importante le nombre de cellules leucémiques résiduelles et la phase d’entretien servant à prévenir les rechutes. Ces deux ans seront ponctués à rythme prédéfini et régulier de ponctions lombaires et ponctions de moelle effectuées le plus souvent sous anesthésie générale. On pratique des ponctions lombaires afin de détecter la présence de cellules leucémiques dans le liquide céphalo-rachidien. On injecte de la chimio dans ce même liquide pour détruire les éventuelles cellules cancéreuses qui s’y trouveraient, et protéger ainsi le cerveau et les méninges.
Après ce traitement à la cortisone, Julien est « fin prêt » pour commencer la chimiothérapie. On lui installe une voie d’entrée centrale, sous anesthésie générale, une petite boîte reliée à la veine cave dont la partie supérieure, placée juste sous la peau est une membrane de caoutchouc « Portacat » dans laquelle on piquera pour prendre le sang et pour faire couler la chimio.
Asparaginase, Métotrexate, Vincristine et autres cocktails de couleur bleue ou jaune lui seront administrés chaque semaine. S’en suivent des périodes « sans » (5 jours à une semaine) pendant lesquelles selon les termes utilisés, il « cuve ». Il est aussi hyper hydraté, il reçoit quotidiennement par voie intraveineuse une quantité phénoménale de liquide pour éliminer la chimio de son corps. Les jours qui suivent sont toujours critiques et très surveillés. Pendant cette période Julien est en «aplasie », c’est-à-dire sans défense immunitaire avec un taux de globules rouges, blancs et plaquettes très faibles qui nécessitent souvent une transfusion de sang ou de plaquettes. Entre les cures de chimio reprennent les cures de cortisone. Période extrêmement douloureuse et difficile à vivre.
Après une dizaine de jours de chimiothérapie, des poignées de cheveux restent collés chaque jour sur l’oreiller, le voilà devenu chauve en une semaine de temps. Cela lui donne une bouille de gros bébé joufflu. Mais le pire est à venir : la chimio provoque une série d’effets secondaires désagréables. Infection de la bouche (mucite), constipations, allergies cutanées, diarrhées…
L’état de Julien ne lui permet pas de participer aux activités organisées pour les petits malades au sein du service. Au début, il allait volontiers en salle de jeux, voir les poissons dans l’aquarium et surtout jouer à la dînette, son occupation favorite.
Voilà décrit son quotidien en salle 67 durant le mois de septembre et octobre 2003. Le 27 septembre, il est autorisé pour la première fois depuis son entrée à l’hôpital à rentrer à la maison pour 24h. Quel bonheur ! Les sorties vont être perçues comme un but à atteindre, une récompense et vont nous aider à tenir le coup. Mais elles sont si courtes ! Tout au plus 10 jours suivis de 3 semaines d’hospitalisation.
À l’extérieur Julien doit être extrêmement protégé des microbes, il doit porter un masque, particulièrement dans les lieux publics. A la maison, il a fallu faire le vide, enlever les bibelots afin d’éviter au maximum la poussière, désinfecter et le plus dur : se séparer de Zap, notre compagnon à 4 pattes durant toute la durée du traitement. Merci à Pierre de l’avoir accueilli.
Un matin, on nous annonce que Julien doit passer en quartier stérile (dit « le Quartier ») pour la suite du traitement. C’est un choc psychologique pour nous, même si nous savions qu’il devrait un moment donné passer par là. Je vis très mal cette annonce. Le « Quartier » signifie être encore un peu plus coupé du monde, un peu plus coupé de notre petit. Ces séjours en quartier stérile vont être très durs à supporter, le fait de ne plus pouvoir être 24h sur 24h avec Julien est pour moi extrêmement difficile. Les nuits, loin de lui, les coups de fil la nuit pour voir si tout se passe bien, ses pleurs quand on s’en va, mon absence durant la toilette du matin, …Et curieusement j’ai l’impression que Julien m’en veut. Il refuse toute nourriture lorsque c’est moi qui lui donne ! Il l’accepte de son papa, des infirmières, mais de moi, rien ! J’ai du mal à vivre cela et m’en confierai d’ailleurs au psychologue.
Les règles là-bas sont encore plus strictes. Tablier par-dessus les vêtements, masque, protège-pieds, gants, tel sera désormais notre attirail pour aller visiter notre petit. Plus question de passer les nuits avec lui, ni de lui donner le bain. Julien a pris du poids, plus précisément il a gonflé, comme un ballon. Effet secondaire de plus de la cortisone outre les sautes d’humeur extrêmement pénibles à supporter pour l’entourage. Les traitements sont plus durs, les aplasies plus fortes et plus longues, voilà la raison de son isolement stérile. Julien dort beaucoup, il récupère et ne se plaint plus. Il a intégré ce nouveau mode de vie.
De janvier à juin 2004, Julien restera en quartier stérile pour subir les chimio entrecoupées tous les 15 jours à 3 semaines de rentrées à la maison.
Août 2004 verra les premières vacances depuis le début du traitement, en famille, à la mer. C’est une joie pour Julien que de se retrouver avec sa sœur, son frère, son cousin, son oncle et ses grands-parents. Durant toute cette année, Julien a été coupé de son univers d’enfant, plus de crèche et des contacts extrêmement rares avec d’autres enfants. C’est aussi le mois de la fin du traitement d’induction et la fin des hospitalisations longue durée.
Pendant un an, jusqu’en septembre 2005, Julien continuera son traitement de chimiothérapie par voie orale à la maison. C’est la phase dite d’entretien. Il doit se rendre régulièrement à l’hôpital de jour pour recevoir sang ou plaquettes, en fonction des résultats sanguins et pour subir ponction lombaire et de moelle.
Voilà une période plus calme pour nous, ses parents. La vie familiale reprend son cours doucement. Cependant nous vivons en fonction des résultats des divers examens sanguins et ponctions. Avec cette terrible angoisse au ventre de l’annonce d’une mauvaise nouvelle. Difficile de reprendre une vie normale, tout est centré sur Julien et je dirais même rien que Julien. La vie de couple en prend un coup. Même si nous avons été solidaires l’un envers l’autre, que l’on s’est soutenu, que nous étions unis pour faire face à cette maladie, la vie n’est plus la même « qu’avant », quelque chose a changé…et ce n’est pas simple de reconstruire, les caractères changent, tout est à fleur de peau, on est plus vite irascible.
Novembre 2004 verra la rentrée de Julien à l’école Dubois, attenante à l’hôpital. Ce sont les premiers pas d’un retour à la vie normale, quel bonheur de le voir jouer avec d’autres enfants. C’est aussi là qu’il retrouve Katia, c’est le début d’une amitié très solide que l’on peut même qualifier d’amour !
L’école Robert Dubois est subsidiée par la Communauté française et accueille les enfants hospitalisés et malades qui ne peuvent suivre les cours au sein de leur école et ce, de la maternelle jusqu’à la fin du secondaire.
Le plus dur est derrière, maintenant, il faut continuer à vivre, aller de l’avant, essayer de ne plus trop penser à la maladie… Pas facile quand même ! Combien de fois me suis-je surprise à pleurer à chaudes larmes en rentrant du boulot, dans ma voiture. Cela me prend sans prévenir, c’est plus fort que moi, j’y pense toujours, je pense à ceux qui sont partis et partent encore et j’ai peur au plus profond de moi, peur que cette maladie se réveille et me prenne mon petit. Il m’arrive de hurler dans ma voiture, et ces pleurs et cris me font un bien fou, me soulagent, j’ai l’impression qu’ils me permettent de continuer à affronter la vie et ne pas montrer ma souffrance aux autres, parce qu’il faut tenir.
Julien est là, bien vivant, oserais-je dire en plein forme ? Charlotte est là aussi et elle a besoin de moi, besoin d’amour et d’attention. Avec le recul, je pense que j’ai dû beaucoup lui manquer pendant ces 2 années où mon attention était essentiellement tournée vers Julien et je m’en excuse auprès d’elle.
Depuis septembre 2005, Julien ne prend plus de médicaments. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cet arrêt complet de toute médication est très stressant ! On a l’impression que la maladie n’est plus sous contrôle et on pense encore plus au risque de rechute ! Julien est en rémission complète. On pourra dire qu’il sera guéri dans deux ans, si tout se passe bien d’ici là.
Depuis janvier 2006, Julien a intégré sa nouvelle école, il s’est fait des tas de copains et Patricia est venue rejoindre Goretti dans son cœur.
Qui pourrait dire en voyant ce petit bonhomme débordant d’énergie, souriant, espiègle, blagueur, plein de vie, plein de joie de vivre, qui pourrait penser que la vie lui a déjà joué un bien vilain tour ! Il est là, bien là, il a été courageux, mon petit bonhomme, il s’est battu, tout le monde s’est battu avec lui contre cette méchante maladie et on y est presque arrivé et on y arrivera, c’est sûr.
Je suis fière de lui ! Je ne sais pas quels souvenirs il gardera de ces moments difficiles. Pas question à l’époque de lui expliquer sa maladie, il était trop petit pour comprendre. Maintenant, il a 4 ans, il nous entend parler de leucémie mais il ne sait toujours pas de quoi il s’agit. Il faudra le lui expliquer quand il sera en âge de comprendre, lui expliquer aussi, un jour, que peut-être il ne pourra pas avoir d’enfant du fait de son traitement chimiothérapique. On n’en sait rien, on ne peut pas savoir à quel point ses cellules ont été détruites par le traitement….
Je remercie du fond du cœur tous ceux qui m’ont aidé, qui m’ont soutenue dans ces moments difficiles et plus particulièrement Papa, Maman, Fred, Charlotte, Pierre, Véronique, Marraine, Claire, Jean, Annette, Paul, Caroline, Nadine, Sophie, Moussa…, et tous ceux qui nous ont marqué des marques d’attention, tous les amis de mes parents, tous mes collègues.
Je remercie Pierre d’avoir eu le courage de faire ce reportage, ce ne fut pas facile pour lui, je crois. Je le remercie pour la qualité de son travail, il a su rendre l’ambiance de cette période, la douleur et la joie. Je vois son travail comme un témoignage, exempt de tout voyeurisme ou misérabilisme. C’est dur, c’est vrai, les photos parlent d’elles même.
Je remercie le corps médical qui s’est occupé de Julien et qui s’en occupe toujours, à commencer par le Dr Landsberg qui a diagnostiqué la leucémie de Julien et qui est le «pédiatre en titre» de Julien, le Dr Azzi (Nadira), le Dr Klein, le Dr Devalcq, le Dr Ferster, le Dr Sariban, le Dr Hijmans, Anne-Sophie (« Madame Laser ») le Dr Loop, tous les stagiaires qui se sont succédés de 6 mois en 6 mois, les infirmières, infirmiers, puéricultrices, kinés de la salle 67 et de la salle 60, Julie, Nathalie, Ann, Malou, Carine, Christiane, Nicole, Corine, Hasma, Anne-Lise, Zorha, Jean-Marc (Poppy), Christophe, Blandine, Claire, Caroline, Helder et mille excuses pour ceux que je n’ai pas cités, ma mémoire fait un peu défaut.
Je remercie aussi Madame Gérard, psychologue.
J’aimerais plus de sensibilisation, plus de prise de conscience, j’aimerais qu’on ne se dise plus « cela n’arrive qu’aux autres », j’aimerais surtout plus de moyens pour la recherche, plus de moyens pour les unités d’oncologie pédiatrique, plus de moyens pour aider les parents, j’aimerais une législation du travail adaptée…
Cette maladie n’est pas une fatalité. On peut la combattre, on peut la vaincre !
Florence Deschuytener – Tondeur, maman de Julien, 2006.