Prix du meilleur spectacle en 2017, label « spectacle d’utilité publique » en 2019, déjà cent représentations (oui tout rond)… La pièce de théâtre « Is there life on Mars ? », une création de la compagnie What’s Up ?!, ne se présente plus. Hospichild est (enfin) allé la voir ce mercredi 6/11 à la Maison des Cultures de Molenbeek.
« Nous sommes tous un peu autistes en fin compte ! » L’affirmation d’une spectatrice, clamée du fond de la salle de la Maison des Cultures de Molenbeek, est venue conclure les échanges d’après-spectacle. Mais est-ce réellement exact ? Au cours de la pièce, Joseph Schovanec, 34 ans, philosophe avec autisme, brillamment interprété par François Regout (nommé dans la catégorie meilleur espoir masculin au prix de la critique pour cette pièce), affirme que nous sommes en tout cas tous handicapés. Il donne l’exemple des personnes de petites tailles qui, dans les trains (thématique récurrente, voire obsessionnelle), ne parviennent pas à mettre leurs bagages en hauteur; ou les personnes de grandes tailles qui, elles, y parviennent, mais souffrent d’un autre côté du manque de place pour leurs jambes… Ce qui fait d’elles des personnes handicapées en quelque sorte. Et c’est justement ce questionnement de la norme qui anime « Is there life on Mars ? »; une pièce de théâtre à mi-chemin entre un projet documentaire et une production subjective et artistique.
Headphone Verbatim
Joseph, c’est en fait l’une des 18 personnes incarnées par les comédiens dans la pièce. Pendant deux ans (« pas à plein temps bien sûr »), Héloïse Meire, la metteuse en scène, a collecté près de 100 heures d’interviews d’autistes, de sœurs, de frères, de parents et de professionnels (interviews finalement écartées) dans le dessein d’en faire un spectacle. Soucieuse de ne pas stigmatiser les personnes autistes et leurs familles, elle a tenté, avec la scénographe Céline Hupin, de trouver des moyens de transmettre leurs mots de façon la plus fidèle possible. C’est de cette préoccupation qu’est venue l’idée d’utiliser un procédé peu commun : le Headphone Verbatim. Durant tout le spectacle, François Regout, Muriel Clairembourg, Jean-Michel d’Hoop et Léonore Frenois portent des casques audio qui diffusent les montages des interviews. Armés de micro, ils répètent simultanément ce que disent les personnes avec la même intonation, les mêmes hésitations, les mêmes accents… Ce qui leur « permet à la fois d’être au plus proche de l’émotion de la parole originale, tout en se distanciant de l’incarnation pure. »
Faire ressentir ce qu’est l’autisme
À côté de cette démarche presque documentaire de collecte d’interviews, l’idée du spectacle était aussi de « faire ressentir ce que peuvent être les différents spectres autistiques de manière subjective et artistique ». Ce qui ne pouvait passer que par une scénographie originale et bien pensée. « L’espace est constitué d’une grande armoire dessinée par Cécile Hupin. Tantôt vitrine muséale, tantôt boîte à jeu, l’armoire prend vie pour devenir écran ou miroir. Le plateau de jeu se présente alors comme un reflet déformé et subjectif sur lequel les objets sont détournés pour leur amener une perspective nouvelle. Comme un écho à la perception différente d’une même réalité que pourrait avoir une personne autiste et une personne neurotypique (NDLR : façon dont les autistes appellent les gens ordinaires)… »
À titre d’exemple, quand l’un des personnages, une femme autiste d’une quarantaine d’années, exprime sa difficulté à fréquenter les lieux trop éclairés et trop bruyants, l’espèce d’armoire se met à clignoter en dévoilant tour à tour des objets tels qu’un panneau de travaux, une machine à laver, un néon, un bébé qui pleure, un sapin de noël, une radio qui grésille… Moment, il faut le dire, assez oppressant; même pour un spectateur lambda.
Démystifier le handicap par l’humour
Loin d’être morose ou pessimiste, la pièce est au contraire bourrée d’humour et de scènes presque cocasses. On pense par exemple à cet enfant autiste de 7 ans qui est capable de réciter toutes les gares de l’ensemble du réseau ferroviaire belge et qui, à la question « qu’est-ce que tu préfères dans la vie ? », répond : « Les gares ! »
Ou cet autre témoignage d’une maman qui fait une métaphore assez hilarante qui dit à peu près ça : « C’est comme si tu t’apprêtes à aller en Italie; tu prépares ton voyage, ton itinéraire, tu apprends la langue… Et puis au moment de partir (ça c’est l’accouchement), le commandant de bord annonce que finalement on ne va plus en Italie, mais en Hollande. C’est pas que c’est mal ou moche la Hollande, mais c’est pas l’endroit où tu avais prévu d’aller; tu n’as pas les bons vêtements, tu n’as rien préparé… Mais après, tu te dis qu’il faut bien s’adapter et, à force, tu finis par apprécier ton voyage. »
Un peu de tendresse dans ce monde de brute
Le spectacle offre également beaucoup de douceur, de tendresse, de moments suspendus… Particulièrement émouvante : la scène de cet adolescent qui tente désespérément de répondre aux questions, mais qui est sans cesse déconcentré par ses tocs. Pour démystifier cela, à chaque pulsion, une des comédiennes se met à danser au même rythme. Après la pièce, cette même comédienne nous confie qu’une maman est venue lui dire qu’elle allait essayer de faire cela avec son fils…
En résumé, ce spectacle nous a fait rire, nous a ému, nous a fait réfléchir, nous a enrichi et surtout nous a fait entrevoir la beauté qui se cache derrière toutes les autres formes d’existence sur Terre (et non pas sur Mars !) Pas étonnant donc que la pièce ait décroché le label d’utilité publique…