Le 7 décembre dernier, les Mutualités Libres organisaient le symposium « Grandir en bonne santé à l’ère digitale ». Plusieurs intervenants spécialisés dans le domaine prirent la parole pour mettre en garde, pour mettre le doigt sur les causes ou les conséquences, pour relativiser, pour dédiaboliser, pour conseiller…
« Quel impact les smartphones et réseaux sociaux ont-ils sur les jeunes ? Qu’en est-il de la vie privée en ligne et du cyber-harcèlement ? Quelles sont les actions de santé publique qui peuvent contribuer à la résilience numérique des jeunes ? Et quelle est la valeur ajoutée d’un usage équilibré du numérique pour la santé des adolescents ? » Ce sont-là quelques-unes des nombreuses questions posées lors du symposium des Mutualités Libres sur la relation des jeunes avec leurs smartphones.
Pour y répondre :
– Xavier Brenez, directeur général des Mutualités Libres
– Prof. Dr Lieven De Marez, imec-mict-UGent – « Digibésité et Domestication Digitale »
– Prof. Laura Merla, UCL – « Usages et pratiques adolescentes en contexte familial »
– Dr Dirk Avonts, rédacteur en chef de Domus Medica et Huisarts Nu
– Marion Beekmans, conseillère au Cabinet de Marie-Martine Schyns, ministre de l’Education
– Yves Collard, expert média, Média Animation
– Maya Van de Velde, membre du Vlaamse Jeugdraad
– Katrien Vanhove, Coordination générale Mediaraven
Exposés
Pour débuter la matinée, X. Brenez, directeur général des Mutualités Libres, a brièvement présenté les résultats de l’étude « Les jeunes et leur smartphone : des risques, mais encore plus d’avantages ».
« 1 jeune sur deux se sent dépendant de son smartphone. »
Plusieurs chiffres interpellants, surprenants ou plutôt rassurants ont été avancés. Par exemple, sur les 1.000 jeunes de 12 à 23 ans interrogés, 1 sur 2 se sent dépendant de son smartphone ; 1 sur 5 ressent une pression sociale ; 1 sur 2 a déjà été victime de cyberharcèlement ; 8 jeunes sur 10 trouvent les réseaux sociaux utiles pour rester en contact avec leurs amis…
Digibésité
Le Prof. Dr L. De Marez, second orateur, a ensuite présenté son étude : « Digibésité et Domestication Digitale ». Grâce à cette enquête sur la manière dont les gens abordent les données digitales, il a notamment pu démontrer qu’il y a de vraies tensions entre les générations à ce propos.
D’abord, distinction importante entre addiction (on ne fait plus rien d’autre que d’aller sur son smartphone) et dépendance (on utilise le smartphone plus que ce que l’on voudrait). Si le deuxième terme concerne la plupart des jeunes et souvent des adultes, le premier n’englobe qu’une minorité de la population.
Ensuite, distinction tout aussi importante entre stress social (vécu par les ados – peur d’être exclu de la société ou de rater quelque chose d’important) et techno-stress (ressenti par les plus de 25 ans – sentiment d’oppression à cause des écrans).
« Le son des notifications sur le smartphone conditionne autant que la cloche dans l’expérience de Pavlov avec son chien. »
Grâce à l’application « DNA » qu’il a créé, L. De Marez a pu évaluer le nombre d’heures que chaque jeune passe sur son téléphone (environs 5h/jour) et les moments où l’utilisation est la plus intense (pendant le blocus, le soir, pendant les cours… ) Il a aussi pu dresser le classement des applications les plus utilisées chez les ados : Facebook, Messenger, Youtube, Instagram, Snapchat, WhatsApp…
Les jeunes sont conditionnés à regarder leurs smartphones dès qu’une notification apparaît. Parfois, ils regardent même quand il n’y a rien de nouveau ; juste par habitude. Selon le professeur, ils souffrent d’ «obésité numérique ». Comme pour la maladie, si ça devient trop problématique, il faut aller voir un professionnel pour endiguer le problème.
Numérique et contexte familial
Troisième et dernier exposé : « Usages et pratiques adolescentes en contexte familial » par Prof. Laura Merla de l’UCL.
Les répondants, 1.600 élèves du secondaire (FWB), se sont livrés sur leur consommation des réseaux sociaux (sur smartphone, tablette ou ordinateur) au sein du milieu familial.
Parmi les résultats : les jeunes de parents séparés vont plus souvent sur les réseaux sociaux, les mamans sont plus restrictives que les pères, les filles sont plus prudentes que les garçons sur le web…
Débat
D’entrée de jeu, et pour rentrer directement dans le vif du sujet, la première question du débat abordait la notion de dépendance.
À partir de quand peut-on dire qu’un jeune est dépendant ?
Pour y répondre, Yves Collard, expert média, avance les 4 niveaux de dépendance :
– Le jeune va trop sur son smartphone, mais ça ne pose pas de problèmes majeurs.
– Le jeune est constamment dessus et ça rogne son sommeil (chronophage).
– Le smartphone devient un refuge, une passion ; tout le reste est nul.
– Le jeune perd sa liberté intérieure.
« Les parents doivent rester vigilent ; l’éducation est le meilleur moyen d’empêcher les abus. Il faut réguler, mais ne pas interdire, car les réseaux sociaux sont une grande part de leur sphère sociale. Ils ont besoin d’interagir avec leurs amis et être apprécié par eux. »
« Les jeunes arrivent aussi, dans la plupart des cas, à s’autoréguler »
« Ils s’imposent parfois des règles à eux-mêmes. C’est assez rassurant. »
Que fait le ministère par rapport aux problèmes de dépendance ?
Marion Beekmans, conseillère au Cabinet de Marie-Martine Schyns, ministre de l’Education, évoque deux éléments clé et complémentaires :
– L’éducation au numérique : il s’agit d’enseigner ce qu’il se passe sur le net, expliquer comment bien utiliser les réseaux sociaux, parler du cyber harcèlement…
– L’éducation par le numérique : les écoles de FWB doivent rattraper leur retard et s’outiller en matériel informatique. Il faut intégrer le numérique dans l’enseignement.
Quid de l’avenir de ces jeunes ? Comment aborderont-ils le marché du travail par exemple ?
Katrien Vanhove, Coordination générale Mediaraven, évoque l’incertitude et le manque de recul quant à l’impact réel des habitudes numériques des jeunes sur leur avenir.
« On cherche encore comment réagir face à ces nouveaux phénomènes. »
« Sur la question des dangers des écrans, il est clair qu’il faut être attentif à l’équilibre de l’utilisation. »
« Si cela est excessif en dessous de 6 ans, les dangers futurs sont bien réels », explique M. Beekmans.
Dans le public, le directeur général des Mutualités Libres, X. Brenez, a profité de l’occasion pour demander aux intervenants :
Que peuvent faire les Mutualités Libres pour sensibiliser les jeunes aux dangers ou conscientiser les parents ?
K. Vanhove : « Il y a de grandes possibilités dans la communication. Organiser un symposium comme celui-ci est déjà une très bonne chose. Il faudrait peut-être diffuser une liste d’astuces pour les parents. Ils ont confiance dans les mutualités donc ça pourrait avoir un impact très positif. »
Y. Collard : « Tout le monde doit jouer un rôle actif. Ce qui me parait vraiment important, c’est de mieux comprendre les comportements des jeunes et mettre en exergue ce qui est bon ou mauvais. »
« Il y a clairement une sous-estimation des côtés positifs »
« Quand les réseaux sociaux sont utilisés de manière bienveillante et dans la sympathie, ils peuvent permettre de continuer une conversation ou de favoriser l’ouverture sociale. Il faut dédiaboliser les technologies et les comportements des jeunes. »
Pour le Dr Dirk Avonts, la technologie peut être une possibilité pour les enfants timides de se développer et de se sentir plus à l’aise en société.
« Mais certains jeunes exagèrent. En cours par exemple, ça les rend trop dissipés. Ils doivent régulièrement essayer de reprendre le contrôle de leur esprit grâce à des retraites anti-digitale par exemple. »
En conclusion, quelques conseils clé pour les parents :
- Préserver la qualité du sommeil avant tout.
- Imposer quelques règles : éloigner le smartphone de la chambre, l’interdire au moment des repas…
- Communiquer avec les jeunes sur ce qu’ils ont vu ou lu sur internet.
- Etc.