« Jungle », un roman graphique lumineux qui lève le voile sur l’autisme au féminin

« Jungle : une traversée de l’autisme au féminin » est le fruit d’une collaboration entre trois bouts de femmes : Adélaïde Barat Magan et Justine Langlois (scénaristes, autrices et autistes) et Fanny Modena, la dessinatrice du projet. Un roman graphique paru aux éditions La Ville Brûle qui aborde avec finesse un sujet très, voire trop peu abordé : l’autisme au féminin. L’histoire permet aussi de mettre en avant, loin des clichés, le validisme, le regard porté sur la différence ou encore les difficultés d’insertion des personnes autistes au sein de la société.

Le parcours d’un diagnostic pour suspicion d’autisme chez une personne en Belgique francophone reste très long. De plus, un déséquilibre existe bel et bien entre les diagnostics autour des troubles du spectre autistique chez les hommes et les femmes. En effet, actuellement, le ratio en Belgique est de quatre hommes diagnostiqués autistes pour seulement une femme. Pour faire entendre ces difficultés et cette différence, les autrices signent un ouvrage lumineux et revendicateur sur le parcours de leur alter ego prénommée Gabi.

Gabi a 26 ans. Elle achète ses paquets de nouilles instantanées par trois, écoute Dancing Queen en boucle et a une relation fusionnelle avec son chat. En fermant Jungle, je me suis dit que je n’avais jamais rencontré de personnage comme celui de Gabi. Parce que Gabi est aussi une femme autiste, une rareté dans le paysage culturel. Il suffit d’une requête sur un moteur de recherche pour constater que les personnes concernées – et particulièrement les femmes – manquent cruellement de représentations. » Tiré de l‘édito de Pauline Le Gall

Le résumé

L’histoire de Gabi a tout d’un coming of age. On suit ses relations avec ses ami·es et sa sœur, on compatit quand elle trouve difficilement sa place au travail, on souffre de la voir affronter tant d’obstacles invisibles à nos yeux, et notre cœur s’emballe quand elle tombe amoureuse. Ce récit initiatique est particulier car il se fait en parallèle de la lecture d’un diagnostic posé tardivement qui permet à Gabi de repenser tous les éléments de sa vie et de poser un regard différent sur elle-même. En voyageant dans son passé, elle comprend enfin ses difficultés pendant sa scolarité, ses relations passées et le fonctionnement de son cerveau qu’elle imagine souvent « en pleine gymnastique ». L’autisme est une jungle parfois inquiétante, parfois merveilleuse, avec laquelle Gabi apprend à composer au fil des pages. Le dessin de Fanny Modena, tendre et enveloppant, nous plonge dans les méandres de l’esprit de l’héroïne et nous permet de comprendre ses états intérieurs à l’aide de couleurs changeantes et de symboles.

J’ai toujours l’impression d’être à côté de la plaque. Je ne comprends rien à ce qui se passe autour de moi, comme si tout le monde avait reçu un mode d’emploi à la naissance, mais pas moi. J’ai toujours un train de retard ou d’avance. Alors je rate tout, je suis toujours un peu décalée », Gabi, alter ego des deux scénaristes autistes.

L’allégorie de la Jungle

Couverture de la BD « Jungle : une traversée de l’autisme au féminin »

C’est avec une grande subtilité que le sujet de l’autisme au féminin est abordé tout en évitant les clichés. Un savant mélange de créativité tiré à la fois de leurs inspirations mais également de leurs propres regards et expériences sur le sujet. Gabi n’est ni plus ni moins l’alter ego des autrices qui, durant son parcours de jeune femme, est confrontée à certaines difficultés. De par sa différence invisible, difficile pour elle de se faire comprendre, par ses parents, sa sœur qui la juge ou encore de se plier aux normes sociétales.

La jungle nous a permis de montrer ce qu’il y a de beau. Elle est colorée, vaste, parfois terrifiante, elle représente toute cette activité intérieure incessante. Mais la jungle peut aussi être très belle. L’autisme ne se limite pas aux crises de colère ou à l’angoisse. C’est une autre façon de voir le monde, une autre façon de penser, un rapport particulier à nos corps et au corps des autres. Notre regard est différent et on voulait rendre sensible cette différence. On représente souvent ce qu’il y a de difficile ou douloureux, mais on ne montre jamais qu’il s’agit simplement d’une autre façon de vivre qui est aussi belle, qui a de la valeur. Aujourd’hui, je n’aimerais pas être autrement. » Adélaïde Barat Magan, interviewée par Pauline Le Gall

→ Découvrir le roman graphique Jungle : Une traversée de l’autisme au féminin

Trois femmes derrière un projet social

Fanny Modena est l’illustatrice et à l’initiative du projet. Intéressée par le sujet, elle fut intriguée par ce diagnostic très tardif chez les femmes. C’est en faisant un appel sur les réseaux sociaux qu’elle a rencontré Adélaïde et Justine pour cette belle collaboration. Les deux scénaristes, Adélaïde Barat Magan et Justine Langlois, ont toutes les deux été diagnostiquées autistes de manière tardive. Un petit mot, tiré par l’Édition La Ville Brûle, sur la personnalité de chacune d’entre elles  :

  • Adélaïde Barat Magan (scénariste) est une autrice et militante autiste engagée dans les luttes pour la justice sociale. Par ses livres, son travail et sa présence en ligne, elle milite pour les droits des personnes marginalisées et sensibilise aux enjeux sociaux, politiques et féministes.
  • Justine Langlois (scénariste) est une jeune autrice autiste. Elle explore différents domaines, à la croisée des droits humains et de la culture, et a choisi de s’engager à travers les mots : ceux qui dénoncent, ceux qui transportent, ceux qui apaisent.
  • Fanny Modena (dessinatrice) est illustratrice et autrice de bande dessinée. Elle privilégie dans son travail les thématiques sociales et engagées, et crée des univers colorés où abstraction poétique et réflexion se mêlent, représentant émotions et idées de manière symbolique.

Samuel Walheer

 

 

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